Requalification des contrats de freelance : attention au glissement vers le salariat

Vous faites appel à un prestataire externe ? Attention à la requalification du contrat de votre freelance en contrat de travail. Ce risque est encore trop souvent négligé par les entreprises. 

Les conséquences sont pourtant particulièrement lourdes : rappels de charge, indemnités de licenciement, voire sanctions pénales. Alors, comment savoir si votre collaboration avec un freelance est réellement sécurisée ? Quels sont les critères retenus par les juges pour prononcer une requalification ? Et surtout, quelles bonnes pratiques adopter pour limiter les risques ? 

L’essentiel à retenir sur la requalification des contrats de freelance

• Un bon contrat de prestations de service est indispensable : il doit affirmer l’indépendance du freelance, définir sa mission et ne pas contenir un vocabulaire assimilable au salariat.
• Les modalités d’exécution de la mission sont déterminantes : une surveillance excessive, des horaires imposés ou une intégration dans l’entreprise peuvent suffire à caractériser un lien de subordination.
• En cas de requalification, les conséquences pour votre activité sont lourdes : rappels de salaires, cotisations sociales, indemnités de licenciement ou sanctions pénales pour travail dissimulé.
• La meilleure solution est d’anticiper les risques et de se faire accompagner : auditer régulièrement vos pratiques et consulter un avocat spécialisé est le meilleur moyen de sécuriser vos collaborations.

Quelles sont les différences entre un freelance et un salarié ? 

Avant de s’intéresser au risque de requalification, il est essentiel de comprendre ce qui distingue un travailleur indépendant d’un salarié. Connaître cette différence est la première étape pour mesurer les risques, car c’est justement lorsque la frontière s’efface que la collaboration peut basculer vers le salariat déguisé.

Qu’est-ce qu’un freelance ? 

Précisons, tout d’abord, qu’en droit français, le terme “freelance” n’a aucune valeur juridique. En langage courant, il désigne un travailleur indépendant, souvent immatriculé comme entrepreneur individuel ou exerçant dans le cadre d’une société unipersonnelle (EURL, SASU).

La particularité principale du freelance est qu’il exerce son activité en toute autonomie. 

En pratique, cela signifie : 

• qu’il choisit ses clients et ses missions ;
• qu’il fixe librement ses horaires et ses méthodes de travail ;
• qu’il supporte les risques économiques liés à son activité (investissements, absence de clients, retards de paiement) ;
• que sa rémunération est le fruit d’une prestation de services définie par un contrat commercial (contrat de prestation, mission, sous-traitance).

En France, les ETI, les PME comme les grandes entreprises ont régulièrement recours aux freelances. Ils réalisent des missions ponctuelles ou spécialisées qui nécessitent une expertise ciblée que l’entreprise ne souhaite pas intégrer en interne de manière permanente. 

Vous pouvez, par exemple, faire appel : 

• à un graphiste ou un webdesigner pour créer l’identité visuelle de votre marque ;
• à un consultant en stratégie digitale pour développer votre visibilité en ligne ; 
• à un développeur informatique pour créer votre site internet ou une application ;
• à un photographe ou un vidéaste pour couvrir un événement professionnel ;
• à un formateur indépendant pour faire monter vos équipes en compétence.

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Qu’est-ce qu’un salarié ? 

Le Code du travail ne définit pas expressément le terme de “salarié”. La notion a été construite par la jurisprudence, sur base des textes existants. 

Le salarié est celui qui signe un contrat de travail et qui exécute des tâches en contrepartie d’une rémunération, dans le cadre d’un lien de subordination juridique vis-à-vis d’un employeur. Il n’organise donc pas son activité de manière autonome. Il doit, en effet, se conformer aux directives de son employeur. 

Le salarié bénéficie en contrepartie d’une protection forte du Code du travail (salaire minimum, congés payés, assurance chômage, retraite, etc.).

Contrairement aux idées reçues, l’existence d’un contrat écrit n’est pas indispensable pour que le statut de salarié soit reconnu. En son absence, la relation est présumée conclue en contrat à durée indéterminée (CDI). Lorsqu’un écrit existe, il peut formaliser un CDI ou un contrat à durée déterminée (CDD), à condition de respecter les règles strictes posées par le Code du travail. 

Salarié ou freelance : une frontière parfois ténue

Si, en théorie, la différence paraît claire, la réalité des relations de travail est plus nuancée. De nombreux freelances travaillent en exclusivité pour un seul client, suivent des horaires imposés ou s’intègrent dans les équipes de l’entreprise… autant de situations qui brouillent les lignes.

Et c’est justement dans ce type de cas que les juges peuvent être amenés à intervenir. Ils peuvent alors considérer que la collaboration ne s’inscrit pas dans le cadre d’une prestation de service, mais bien dans celui d’une relation de travail salarié. 

Sur quelles bases un juge peut-il décider de requalifier le contrat d’un freelance ? 

Vous travaillez avec un freelance ? Prenez le temps de vérifier que votre collaboration ne crée pas un lien de subordination. À cet égard, plusieurs indices peuvent être révélateurs. 

L’existence d’un lien de subordination

C’est le point clé. Si le juge constate l’existence d’un lien de subordination, la relation sera très probablement qualifiée de contrat de travail. À l’inverse, si ce lien fait défaut, la prestation de services conserve sa validité. 

Le Code du travail prévoit à l’article L. 8221-6 une présomption d’indépendance pour les travailleurs immatriculés en tant que commerçants, artisans ou professions libérales. Mais, comme souvent en matière de présomption, elle peut être renversée si la réalité de la relation montre l’existence d’un lien de subordination juridique.

L’indépendance du freelance peut ainsi être remise en cause dès lors qu’il exécute son activité sous l’autorité d’un donneur d’ordre, qui, par exemple : 

• lui impose son lieu de travail, ses horaires ou son planning ;
• vérifie systématiquement la conformité de ses tâches ;
• prend des mesures disciplinaires à son encontre en cas de manquement.

À cet égard, le cas de Deliveroo est emblématique. Les juges ont requalifié les contrats de coursiers auto-entrepreneurs en contrats de salarié, en retenant un lien de subordination manifeste (contrôle, pénalités, consignes quant à la livraison, etc.). 

Les indices prouvant l’existence d’un lien de subordination 

La jurisprudence de la Cour de cassation a identifié plusieurs indices qui, combinés, peuvent conduire à la requalification d’une collaboration indépendante en contrat de travail. Gardez à l’esprit que le juge raisonne toujours en termes de faisceau d’indices. Aucun élément isolé n’est suffisant pour faire basculer la relation dans le champ du salariat.

• L’exclusivité ou la quasi-exclusivité de la relation : lorsque le freelance travaille uniquement, ou presque exclusivement, pour un seul client, il existe un risque de dépendance économique. Même sans lien de subordination direct, le juge peut alors considérer que l’indépendance est fictive.
• L’intégration dans l’entreprise : un freelance qui utilise les locaux, participe aux réunions d’équipe, figure dans l’organigramme ou travaille avec les outils mis à disposition par l’entreprise se rapproche d’un salarié. Plus l’intégration est forte, plus le risque de requalification augmente.
• L’absence d’autonomie dans l’exécution : un freelance doit pouvoir organiser librement son activité. Si vous imposez un mode opératoire ou que vous déterminez les horaires, le juge pourra retenir une absence d’autonomie caractéristique du salariat.
• La régularité ou la permanence de la mission : un contrat de prestation qui s’enchaîne sur plusieurs années peut être assimilé à un emploi salarié à durée indéterminée.
• L’absence de risque économique supporté : comme nous l’avons vu, un vrai indépendant assume les aléas de son activité. Si vous prenez en charge tous ces risques, vous êtes sans doute dans une relation salariée.
• La rémunération fixe : le versement d’un montant identique, à intervalles réguliers, indépendamment du volume de missions ou de la qualité du résultat, est un indice fort de salariat. Le juge pourra considérer que cette régularité s’apparente à un salaire plutôt qu’à une facturation de prestations.
• La faible expertise du prestataire : moins le freelance est spécialisé, plus le risque de requalification est élevé. 

Bon à savoir : le travail à distance du prestataire peut être perçu comme un indice favorable à son indépendance. Toutefois, dans les affaires Deliveroo ou Uber, cet élément a été jugé insuffisant. Les livreurs travaillaient bien en dehors de leur siège social et de leurs locaux. Les deux plateformes n’ont pourtant pas échappé à la requalification. 

Quels sont les risques en cas de requalification en contrat de travail ? 

Les conséquences pour votre activité peuvent être lourdes. Elles touchent à la fois le plan civil et social (indemnités, cotisations), mais aussi le plan pénal (sanctions pour travail dissimulé).

Les conséquences civiles, sociales et financières de la requalification du contrat de freelance 

Premièrement, vous pouvez être tenu de verser au freelance requalifié en salarié une indemnité visant à couvrir : 

• les rappels de salaires ;
• les heures supplémentaires effectuées ;
• les primes et avantages non perçus ; 
• les congés payés non pris, etc. 

Deuxièmement, la rupture de votre relation sera assimilée à un licenciement, ce qui donne lieu au versement : 

• d’une indemnité de licenciement ; 
• d’une indemnité compensatrice de préavis ; 
• le cas échéant, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Troisièmement, au-delà de toutes ces indemnités, vous devrez régulariser votre situation auprès de l’URSSAF. Vous allez donc devoir payer ensemble des cotisations sociales non versées, (y compris les intérêts de retard et les éventuelles majorations). 

À noter que cette requalification peut entraîner la perte de certaines aides publiques, subventions ou exonérations accordées à votre entreprise.

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Les sanctions pénales et les redressements

Votre entreprise s’expose aussi à des sanctions pénales. Vous pouvez notamment être poursuivi pour travail dissimulé, une infraction prévue aux articles L. 8221-5 et suivants du Code du travail. Les peines encourues peuvent aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour une personne physique, avec des montants encore plus élevés lorsqu’il s’agit d’une personne morale.

Au-delà de cette infraction, certaines clauses du contrat de prestation peuvent être déclarées nulles, comme celles qui imposent des obligations disproportionnées au freelance. 

Enfin, votre responsabilité pénale peut être engagée en cas de manœuvres frauduleuses ou de volonté manifeste de dissimuler l’existence d’un lien de subordination.

Bon à savoir : La requalification produit ses effets de manière rétroactive. La relation de travail sera donc considérée comme salariée depuis son origine. 

Les bonnes pratiques à mettre en oeuvre pour limiter le risque de requalification de vos contrats de freelance

Maintenant que vous maîtrisez les enjeux liés à la requalification des contrats, voyons quelles bonnes pratiques adopter pour sécuriser vos collaborations avec des freelances et réduire les risques juridiques.

1. Rédiger un bon contrat de prestation de services

Le contrat que vous signez avec un freelance est le socle de votre relation. En B2B, c’est d’ailleurs lui qui fait la loi. Il fixe le cadre juridique et limite le risque de requalification en contrat de travail. Vous devez donc y consacrer une attention particulière et faire appel à un avocat pour le rédiger. 

Pour sécuriser votre collaboration, commencez par insérer les clauses qui rappellent expressément l’indépendance du prestataire et qui évitent toute confusion avec le salariat. Le contrat doit notamment préciser qu’il s’agit d’une relation contractuelle indépendante, excluant tout lien de subordination. Il doit aussi définir clairement les missions confiées et leurs modalités. 

Pensez également à prévoir une durée adaptée. Il est préférable d’opter pour un contrat court et renouvelable ou pour un contrat à durée indéterminée avec un préavis réduit. 

Mentionnez l’expertise spécifique du freelance afin de rappeler qu’il intervient en qualité de professionnel autonome. 

Enfin, soyez attentif au vocabulaire employé. Bannissez des termes trop proches du salariat comme “congés” ou “tâches”. Utilisez plutôt “missions”, “prestations” ou “livrables”.

Au-delà de ces clauses fondamentales, votre contrat doit aussi encadrer d’autres aspects essentiels : 

• la définition des livrables attendus ; 
• une clause de non-concurrence ;
• une clause de confidentialité ; 
• une clause pénale en cas de manquement grave ; 
• une clause de cession des droits de propriété intellectuelle lorsque le freelance crée des contenus ou des outils pour votre entreprise ; 
• etc. 

2. Veiller à la réalité de l’exécution des missions de votre freelance

Même si votre contrat insiste sur l’indépendance de votre prestataire, le juge se fondera avant tout sur les faits pour décider ou non de la requalification de votre relation. Vous devez donc rester vigilant dans la gestion quotidienne de votre collaboration.

Évitez de transformer la relation en une organisation de type salarié. En pratique, il est important de ne pas exercer une surveillance permanente de votre freelance. Abstenez-vous de valider systématiquement chacune de ses actions. N’imposez pas d’horaires fixes, un reporting journalier trop strict ou des réunions trop fréquentes. Le freelance doit rester libre de son organisation.

Ne l’intégrez pas non plus dans l’organigramme ou les outils internes de l’entreprise comme l’intranet. 

Il est également primordial de lui laisser la possibilité de travailler pour d’autres clients afin d’éviter toute dépendance économique.

Enfin, gardez à l’esprit qu’un freelance ne doit pas être soumis aux mêmes règles qu’un salarié. Ne prévoyez pas de période d’essai, n’appliquez pas de sanctions disciplinaires et n’installez aucun pouvoir de sanction directe.

Un dernier conseil pratique. Dans vos échanges quotidiens, veillez à ne pas donner d’ordres comme vous le feriez avec un salarié. Formulez plutôt vos besoins et vos attentes en termes de résultats.

Bon à savoir : demander un rescrit social.

L’URSSAF peut vous donner un avis sur la nature de votre relation dans le cadre du rescrit social. Sa réponse n’est toutefois pas une garantie à 100 %. 

3. Former vos équipes et auditer vos pratiques

La prévention du risque de requalification ne se joue pas uniquement à la signature du contrat. Vous devez aussi contrôler régulièrement vos pratiques quotidiennes. Un audit périodique de vos relations avec les freelances permet de vérifier que la réalité de la collaboration reste conforme au cadre juridique prévu. Ce suivi est essentiel, car une mission peut évoluer avec le temps et se rapprocher dangereusement d’un emploi salarié.

Il est également utile de former vos managers pour qu’ils puissent distinguer une prestation indépendante et un contrat de travail. Trop souvent, ce sont les pratiques quotidiennes (réunions imposées, contrôle excessif, vocabulaire maladroit) qui créent un risque de requalification, sans que l’entreprise en ait réellement conscience.

Enfin, pensez à adapter vos contrats ou vos méthodes de gestion si la mission évolue. Votre freelance devient indispensable et ses tâches ressemblent à celles d’un salarié ? Il est plus sûr d’envisager une embauche en bonne et due forme plutôt que de laisser s’installer une situation à risque.

Le risque de requalification des contrats de freelance n’est jamais à prendre à la légère. Même si la collaboration vous semble claire au départ, ce sont les faits et la manière dont la mission est exécutée qui déterminent la nature réelle de la relation. 

Anticiper est donc la meilleure protection pour limiter les risques. Pour sécuriser vos relations avec vos prestataires indépendants, faites appel aux avocats TLMR. 

Questions fréquentes sur la requalification des contrats de freelance

Qui peut demander la requalification d’un contrat ?

C’est le plus souvent le travailleur indépendant lui-même qui saisit le conseil de prud’hommes pour demander la requalification en contrat de travail. Toutefois, l’Urssaf, l’inspection du travail ou encore les services fiscaux peuvent aussi être à l’origine de la procédure. 

Un seul indice suffit-il à entraîner une requalification ?

Le juge se base sur un faisceau d’indices. Cela signifie que les éléments pris isolément ne sont pas suffisants. En revanche, plusieurs indices combinés (exclusivité, intégration, absence d’autonomie, rémunération fixe, etc.) peuvent convaincre le juge de requalifier la relation en contrat de travail.

L’exclusivité avec un seul client est-elle toujours risquée ?

Oui, elle augmente nettement le risque. Un freelance qui dépend économiquement d’un seul client ressemble davantage à un salarié qu’à un indépendant. Si cette exclusivité s’accompagne en plus d’un contrôle ou d’une intégration forte dans l’entreprise, le risque est réel.

Le travail à distance protège-t-il contre la requalification ?

Pas nécessairement. Le fait qu’un freelance travaille en dehors de vos locaux peut être un indice favorable de son indépendance, mais il n’est pas suffisant. Les affaires Deliveroo ou Uber l’ont montré. Malgré le travail à distance, le lien de subordination et l’organisation imposée ont conduit à requalifier les contrats.

Comment savoir si, dans les faits, j’impose un lien de subordination à un freelance ?

Vous êtes dans cette situation si vous imposez un lieu de travail, des horaires, des méthodes d’exécution précises, si vous validez systématiquement chaque étape ou si vous avez un pouvoir disciplinaire. Autrement dit, dès que vous agissez comme un employeur vis-à-vis du freelance, vous créez un risque de requalification.

Puis-je donner des consignes sans créer de subordination ?

Oui, mais tout est dans la manière de le faire. Vous devez exprimer vos besoins et vos attentes en termes de résultats, et non pas en donnant des ordres sur la façon d’accomplir la mission. Le freelance doit conserver une liberté d’organisation.

Le portage salarial est-il une bonne solution pour éviter la requalification ?

Effectivement, dans ce modèle, le freelance devient salarié d’une société de portage qui se charge de la relation contractuelle et du versement des cotisations. Attention toutefois, le portage reste encadré par la loi et doit être utilisé dans des conditions précises (missions ponctuelles, absence de remplacement d’un salarié permanent, etc.).

Comment réduire concrètement le risque de requalification ?

Anticipez en encadrant les conditions de la mission et veillez à vos pratiques quotidiennes afin d’éviter toute confusion avec le salariat. Faites appel à un avocat pour vous accompagner.